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mercredi 29 février 2012

Mon plus beau cadeau.

Mon père, liseur invétéré, les bras accoudés sur son fauteuil, feuilletait le journal « La Presse ». Quand ce n’était pas le journal, c’était une revue de langue anglaise qu’il dévorait des yeux, ou encore un de ses livres traitant de mécanique, de science ou de psychologie. Et cela, sans compter les quelques romans, dont les livres empruntés régulièrement à la bibliothèque municipale, lesquels trônaient dans le meuble en bois de chêne vitré situé dans le salon, face aux trois fenêtres à guillotine. J’aimais bien le regarder, absorbé dans sa lecture. D’un esprit éveillé, papa savait toujours répondre avec assurance à nos questionnements. Ce n’est que plus tard que j’ai compris, que ses lectures assidues nourrissaient les réponses à nos nombreuses interrogations.

Ainsi, pour l’anniversaire de mes 8 ans, je n’ai pas été trop surpris de recevoir en cadeau une carte d’abonnement à la bibliothèque municipale. C’était sa façon de me dire que j’étais dorénavant assez grand pour l’accompagner lors de ses visites hebdomadaires dans ce haut lieu du savoir. La surprise en soi, venait plutôt du fait de recevoir un cadeau lors de cet évènement. En effet, mes parents ne pouvaient pas se permettre de nous offrir un cadeau autrement qu’à la fête de Noël. Probablement, était-il conscient à ce moment qu’à défaut de me transmettre des biens matériels qu’il n’avait pas les moyens de me donner, il me léguait ainsi la clé de ma liberté.

J’ai été longtemps un abonné assidu à la bibliothèque de la ville. Que de samedi après-midi ai-je passé en sa compagnie? Enfin, façon de dire, car en réalité nous faisions plus précisément route ensemble pour le trajet de l’allée et du retour. Mais arrivé à destination, il me laissait libre dans la section des étagères réservées aux enfants tandis qu’il s’appropriait les rayons destinés aux grandes personnes. Que d’heures de plaisir savourées à parcourir ces nombreuses tablettes en bois vernis défraîchis remplies à ras bord de livres usagés aux multiples gabarits! Quelle joie que de scruter ces livres, lesquels m’entraînaient tour à tour dans le monde de l’imaginaire des bandes dessinées du reporter Tintin et de son inséparable capitaine Haddock, de Martin le malin accompagné de son ami Florisse, ou encore de Jo, Zette et Jocko. Que de rêveries à parcourir les bouquins relatant les aventures des 4 As, de Bob Morane et de nombreux autres héros, encore. Chaque lecture permettant de m’identifier à ces héros de jeunesse qui m’ont fait vivre des aventures, la plupart du temps, rocambolesques, mais tellement captivantes.

Quels beaux moments que celui de vivre cette complicité avec un livre! Tantôt, moments de rêverie de mon enfance, qui me laissaient croire pour de brefs instants que je pouvais être fort comme Tarzan, rapide comme Surperman, ou rusé comme Hercule Poirot. Moments magiques d’aventures qui me transportaient dans des contrées lointaines et inexplorées. Ainsi, pour peu que l’on se laisse prendre au jeu par la prose de son auteur, nous pouvons découvrir à travers les péripéties de ses acteurs, toute la beauté des régions exotiques où évoluent les personnages colorés des histoires racontées. Quel lecteur n’a pas su imaginer la mystérieuse lande brumeuse de l’Écosse décrite dans un roman d’Agatha Christie ou encore, découvrir les paysages mythiques de la Chine traditionnelle relatés magnifiquement par l’auteure eurasienne Han Suyn.

Quelle délectation que de s’approprier un livre! Chaque livre étant différent en soi. Chacun ayant sa personnalité propre. On le rencontre quelques fois, gros, petit, mince, épais, et d’autres fois plus large, étroit, lourd, léger, nouveau ou ancien. Sa couverture reste unique. De couleur variée, la jaquette peut être souple ou rigide, cartonnée ou plastifiée, lisse ou rugueuse, et agrémentée d’une écriture imprimée en aplat, gravée ou bosselée. Et que dire de la puissance subtile de son odeur qui, à elle seule, peut nous faire revivre des souvenirs que l’on croyait perdus, enfouis à jamais dans notre mémoire? Car les livres ont du vécu qui se découvre par l’odorat. Prenez un livre dans vos mains et humez-le, tel un bon vin. Ouvrez l’ouvrage et faites ventiler doucement les pages entre votre pouce et votre index. Il s’y dégagera une odeur d’encre séchée nuancée en fonction du type de papier servant de support à l’écriture, du temps et du lieu de son entreposage. La souplesse de ses pages variera en fonction de la qualité du papier utilisé dans sa fabrication, et sa rigidité sera redevable à son âge ainsi qu’à l’humidité de l’air ambiant dans lequel il aura reposé.

Bien sûr, le livre n’est qu’un support en soi. Mais, il s’affirme comme témoin privilégié de l’accumulation du savoir du genre humain à travers les siècles. De même, bien avant sa démocratisation au XVe siècle à l’initiative de l’imprimerie de Gutenberg, le manuscrit agrémenté d’enluminure, confectionné à la main par les copistes du Moyen-âge, transmettait déjà les connaissances des textes anciens, des grammaires et des traités de sciences. On estime qu’en un peu plus de 50 ans tout près de vingt millions de livres avaient déjà été imprimés avant l’an 1500, et ce en plus de 30000 éditions. De ces livres, soixante-dix-sept pour cent étaient rédigés en latin et près de la moitié revêtaient un caractère religieux, influence de l’Église oblige. Tel que nous le connaissons, le livre a donc un peu moins de 600 ans d’âge.

 Tout dernièrement, les bouleversements sociétaux occasionnés par l’arrivée de l’ordinateur ont eu comme conséquence la mise en marché d’un nouveau support au format numérique qui semble s’implanter inexorablement dans notre vie de tous les jours. Cette nouvelle révolution technologique facilitera très certainement une plus large diffusion de nos connaissances et de l’information à l’ensemble des habitants de la Terre, notre nouveau Village global. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais ce média ne saura jamais remplacer le livre, de la même manière que le livre a rendu désuet, son ancêtre le codex, forme d’expression littéraire composée de pages reliées du IVe siècle. Car il faut bien le dire, le caractère technique, froid et impersonnel du format numérique, quoique convivial et indéniablement utile à notre civilisation, ne saura à jamais dégager autrement que mécaniquement cette chaleur ressentie de l’osmose viscérale entre le livre et son lecteur.

Et c’est très bien ainsi.


François langlois

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