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mardi 20 août 2013

Violence à l’école : c’était pas mieux avant


Elsa Fayner | Journaliste Rue89


Une lycéenne de 18 ans, interne dans un établissement privé de Marseille, s’est donné la mort par pendaison dans la nuit de mardi à mercredi.
Au même moment, Grant Accord, un lycéen américain, était inculpé : la police avait découvert un stock d’explosifs et d’armes chez lui, dans l’Oregon, avec lequel il projetait d’attaquer son établissement.
En Alsace, mi-mai, un adolescent menaçait sur Internet de commettre une tuerie dans son ancien lycée. Tout le département retenait son souffle ; jusqu’à aujourd’hui, la police ne l’a pas retrouvé et ne sait pas s’il était sérieux.
Spectaculaire et angoissant. D’autant plus que ces événements viennent s’ajouter à une liste de tueries, tentatives ou menaces, on ne sait plus bien. L’école n’est plus un sanctuaire, c’est certain. Mais l’a-t-elle jamais été ?
Chateaubriand : « Des compas au bout de cannes »
Claude Lelièvre, historien de l’éducation, s’est plongé dans la littérature relatant les années d’école de nos ancêtres. Et ça n’était pas joli joli.
Au XIIIe siècle, par exemple, les étudiants de la Sorbonne se battaient beaucoup, à mains armées de surcroît. Contre les Parisiens, la police du Prévôt de Paris, et même, en 1278, les moines de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
A la fin du XVIIIe siècle, Chateaubriand raconte des affrontements plus que risqués avec ses condisciples du collège de Rennes, dans ses « Mémoires d’outre-tombe ». Sur le ton de l’anecdote :
« Je pris sur mes nouveaux camarades l’ascendant que j’avais eu au collège de Dol : il m’en coûta quelques horions [coups sur la tête, ndlr]. Les gamins bretons sont d’une humeur hargneuse : nous nous servions de compas de mathématiques attachés au bout d’une canne, ou nous en venions à une lutte corps à corps plus ou moins félone, selon la gravité du défi. »

La guerre dans la cour de récré
Tandis que l’écrivain Francisque Sarcey, dans son « Journal de jeunesse », paru en 1872, évoque son passage au collège sous la Restauration, sans paraître troublé de garder de tels souvenirs :
« En quelle classe était donc Courdevaux, celui qui a donné un coup de couteau à son professeur qui l’ennuyait ? »
Le lycée Louis-le-Grand connut, lui, huit révoltes d’élèves entre 1815 et 1883. Plusieurs nécessitèrent l’intervention de la police. Des lavabos furent brisés et des barres de fer de lits utilisées comme armes.
La cours de récré a par la suite continué à être le lieu de tous les dangers. Michel Serres, aujourd’hui philosophe, se souvient sans plaisir de son enfance, « bien avant la Seconde Guerre mondiale » :
« J’ai expérimenté là, dans la cour de récréation, une telle guerre, une telle violence que j’étais content de revenir en classe lorsque la cloche sonnait. »
Plus récemment, Hervé Hamon et Patrick Rotman ont comptabilisé, dans« Tant qu’il y aura des profs », les violences scolaires recensées par la presse entre 1979 et 1984. Au programme : rackets, affrontements entre bandes, viols, et même trois meurtres, dont deux d’adultes. La liste est impressionnante.

« Nous sommes devenus sages »

Claude Lelièvre va jusqu’à trouver que « nous sommes devenus sages » :
« Sous Jules Ferry, on compte 80 révoltes en dix ans, alors qu’il n’y avait que 100 lycées en France. Mathématiquement, il devrait y avoir beaucoup plus de violences aujourd’hui... »
Mais, pour le co-auteur des « Histoires vraies des violences à l’école », il reste impossible de comparer, de chiffrer l’évolution des faits. Car « la violence est systématiquement sous-estimée, aujourd’hui encore », et ce, particulièrement dans les établissements huppés.
Pour Claude Lelièvre, il est important de rappeler qu’il n’est « pas tout à fait naturel d’être à l’école » :
« S’y exerce toujours une pression, qui est moins bien ressentie à mesure qu’on avance en âge. »
L’âge fait d’ailleurs partie des variables « les plus explicatives » : c’est vers 11 ans que les préados commencent à s’énerver physiquement, pour tout donner entre 15 et 17 ans puis, à partir de 18 ans, cesser de jouer des poings.
Seconde variable : le sexe. Ce qui expliquerait la concentration des faits de violence dans certains établissement, notamment les lycées techniques, fréquentés surtout par des garçons. Quant aux collèges, également particulièrement concernés, il se peut quand même que nous assistions à un rajeunissement de la montée de l’agressivité chez les ados.

Cyberharcèlement

Nouveauté : si le harcèlement a toujours été pratiqué (« l’intensité de ce que subit le bouc émissaire est proportionnelle à l’intensité de la pression que subit le groupe »), il passe aujourd’hui aussi par les réseaux sociaux et les tablettes numériques. On parle de « cyberharcèlement ».
Ce cyberharcèlement peut prendre différentes formes  : humiliations, menaces, insultes, rumeurs, textos agressifs, à caractère sexuel ou diffusion d’images intimes – tout ceci de façon répétée.
La délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, créée par Vincent Peillon en septembre 2012, se penche d’ailleurs actuellement sur la question.

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